Cela fait des années que ça dure : des réfugiés sont à la fois non expulsables et non régularisables, en raison des lois actuelles.
A Orléans, des réfugiés mauritaniens ont occupé pendant quelques jours des locaux de l'Eglise Réformée d'Orléans.
Le président de l'Eglise (et non le pasteur, comme annoncé parfois) et le maire d'Orléans ont demandé et obtenu l'expulsion de cette douzaine de personnes. Ils ont été expulsés ce matin par les forces de l'ordre.
On ne peut qu'être surpris que les protestants d'Orléans se soient joints au maire d'Orléans pour une telle action en justice. Les protestants, habituellement si humanistes, se seraient ils transformés en affreux suppôts du pouvoir sarkozyste ? Pas si simple...
Voyons ce qu'en disent un certain nombre d'organisations :
L'ASTI (Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés), la CIMADE (Service oecuménique d'entraide), le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples), la LDH (Ligue des Droits de l'Homme) et l'Association Toits du Monde ont publié le communiqué suivant :
"Ce jour (20 mars) à 18 h, les associations représentatives de l'accueil, de l'accompagnement et du soutien aux migrants et aux réfugiés sont venues à la rencontre des étrangers qui occupent les locaux de l'Eglise Réformée d'Orléans depuis dimanche après midi.
Cette démarche spontanée avait pour but d'une part de préciser leur désaccord avec l'action engagée sans concertation et d'autre part de leur redire leur engagement indéfectible pour la défense des droits des étrangers. Les personnes qui occupent ces locaux connaissent bien les associations qu'elles ont maintes fois sollicitées, et qui les aident dans leurs démarches.
La relation de confiance et de respect mutuel indispensable qui a toujours prévalu jusque là a été rompue par cette occupation.
Cette rencontre avait été proposée le matin même par Jacques Varet, président du conseil presbytéral de l'Eglise Réformée d'Orléans, qui y a participé, et un peu plus tard par Alain Jouniaux, responsable du groupe local de la Cimade.
Les représentants des occupants ont refusé la discussion au bout de quelques minutes.
Les associations prennent acte de cette attitude et la déplorent, restant comme toujours préoccupées de l'intérêt des personnes étrangères et à leur écoute. "
On voit bien dans ce communiqué toute la difficulté qu'il y a à se faire un avis sur la question. Il semble qu'il y ait eu d'une part des réfugiés refusant à la fois de quitter les lieux et de négocier, et d'autre part des associations, connues de tout temps pour leurs actions en faveur de ces mêmes réfugiés.
Le communiqué des Verts du Loiret est plus long, mais beaucoup plus explicite :
"Les Verts Loiret, actifs dans le soutien des sans papier, ont toujours agi collectivement avec l'ensemble des associations impliquées dans l'action au quotidien auprès des sans papier, que ce soit pour des parrainages, des manifestations de soutien, d'aide financière aux associations, de présence militante au tribunal administratif ?
Des militants Verts, à titre individuel et dans le respect des structures, sont impliqués dans divers réseaux tel que le Réseau Education Sans Frontière. Les Verts nationaux ont participé activement à l'action "Uni(e)s contre une immigration jetable" afin de s'opposer à la réforme du Code de l?entrée et du séjour des étrangers et du droit d?asile (CESEDA). Nous n'avons pas à faire la preuve, comme semblent l'exiger certains, de nos loyaux services à la cause des sans papier.
Sur le plan local, ne revenons pas sur les divergences apparues lors de la préparation de la manifestation du 16 décembre 2006 et sur les différences d'appréciation des modes d'action mises en évidence lors de la réunion de bilan du 18 Janvier 2007.
Faute de compte rendu officiel, nous nous souvenons et soutenons qu?il n'a jamais été pris collectivement la décision de mener une action d'occupation. Comment se fait-il, dans ces conditions, que l'ensemble des participants n'aient pas eu à se prononcer sur l'occupation en cours des locaux de l'Eglise Réformée de France ?
Cela est d?autant plus surprenant que nous découvrons, a posteriori, un appel diffusé par mail , dont les Verts n'étaient pas destinataires, provenant du Chiendent, signé par "Le Comité Immigré-e-s du Loiret" et daté du samedi 17 mars 2007 à 14h04, qui convoque en urgence une assemblée générale en ces termes :
"Après le succès de la manifestation du 16 décembre dernier « Un logement, des papiers, une école pour tous ! », nous avions prévu de ne pas en rester là et une action permettant de renforcer la mobilisation des immigré-e-s et d?élargir le soutien à notre lutte était envisagée.
Afin de vous présenter nos projets nous invitons tous ceux (individus, associations, syndicats, organisations politiques) qui veulent nous soutenir à une assemblée générale : Dimanche 18 mars à partir de 14h00 au Chiendent, 259 rue de Bourgogne à Orléans."
En fait d'AG, il s'agissait d'un mail de mobilisation, afin de rassembler quelques troupes pour une occupation préalablement décidée en petit comité selon la politique du fait accompli.
Il apparaît scandaleux de faire référence à une action collective, celle du 16 décembre, en s'appropriant son succès pour mener une action non concertée et conçue par "Le Comité Immigré-e-s du Loiret" qui n?était pas signataire en faveur de la manifestation du 16 décembre. Ce mode de fonctionnement porte un nom : la récupération.
Bien entendu, il était préférable pour certains activistes du Chiendent (ils se reconnaîtront) de ne pas inviter les Verts, car nous aurions refusé de nous associer à l'action pour le moins aventureuse menée dimanche dernier.
Entreprendre une action d'occupation, pourquoi pas! Les Verts l'ont fait par le passé avec d'autres (occupation de la cathédrale d'Orléans, Saint-Bernard) et continuent d'apporter leur soutien à ce mode d'action (Cachan, Ministère du Logement).
Pour l'action de dimanche, il apparaît que l'occupation des locaux de l'Eglise Reformée, sans aucune concertation, est un choix inapproprié. Cette occupation, contrairement à l'occupation de la Cathédrale puis du théâtre d'Orléans, pénalise le bon fonctionnement des lieux et met dans l'embarras des associations telles que la CIMADE qui, au quotidien, épaulent et accompagnent des sans papier et des demandeurs d'asile dans leurs démarches administratives, ou l'Entraide Protestante qui apporte un soutien moral et matériel aux déshérités.
Une action d'occupation, c'est bien, ça peut faire avancer la cause, mais certains semblent plutôt vouloir se faire plaisir et veulent démontrer qu'ils font plus et mieux pour les sans papier. Mais attention, cette escalade est dangereuse et n'oublions pas que des hommes, des femmes et des enfants jouent leur avenir sur notre territoire. La politique d'immigration de Sarkozy est exécrable et doit être combattue, mais elle ne doit pas être prise à la légère, c'est elle qui s'applique. Une évacuation médiatique par les forces de l'ordre ne fera que conforter l'électorat d'une extrême droite favorable à la création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale. Cette politique du pire ruine les efforts entrepris pour élargir le soutien aux immigrés.
Malheureusement, les objectifs de l'occupation des locaux de l'Eglise Reformée ne semblant pas être le dépôt de demandes de régularisation, comment ne pas imaginer que certains au Chiendent n?ont d?autre but que de créer de la division au sein des collectifs, de rejeter et de marginaliser des associations pas assez radicales à leurs yeux ? Ils n?y parviendront pas car la situation réelle des étrangers en France impose à ceux qui les défendent une solidarité sans faille.
Les Verts souhaitent que les immigrés ne fassent pas les frais de cette surenchère et que la fin de l'occupation se passe au mieux pour tout le monde. Une sortie honorable, comme le propose le Président du Conseil Presbytéral de l'Eglise réformée d?Orléans, semble encore possible avec le dépôt et la garantie que la préfecture réétudiera l'ensemble des dossiers de demande de régularisation des occupants en situation irrégulière."
Ce document, publié ici in extenso, montre toutes les différences qui existent entre les différentes organisations : d'une part les associations d'aide aux réfugiés, l'église protestante, les verts, et d'autre part le "comité immigré-e-s du Loiret" ou le Chiendent.
Le premier groupe accusant plus ou moins explicitement le second de manipuler les réfugiés.
Comment se faire un avis sur la question ?
J'ai rendu visite à deux reprises, mercredi et jeudi, aux réfugiés qui occupaient les locaux de l'église réformée. Je n'y suis pas resté longtemps, mais je n'y ai pas vu de représentants des organisations censées les accompagner.
J'ai reçu, ce matin, au siège du Parti socialiste, un représentant de l'Association de Soutien aux Déportés Mauritaniens (ASDM). Il m'a indiqué que personne, parmi ceux qui les soutenaient dans l'occupation, n'avait aidé les réfugiés à déposer des dossiers à la préfecture, et s'étonnait de cette situation. Il m'a indiqué que la LCR avait changé à plusieurs reprises sa position vis à vis de l'occupation, passant de l'accompagnement au retrait, puis à l'accompagnement de nouveau. Toutefois, il ne pensait pas que quiconque manipulait les réfugiés. Il m'a demandé le soutien du PS, soutien qui était en discussion, en interne, depuis quelques jours.
Je lui ai promis que le PS prendrait une position sur la situation des réfugiés, c'est à dire la situation statutaire, et donc politique, dans laquelle ils se trouvaient. Ce qui fut fait dans la soirée d'aujourd'hui :
"La fédération du Loiret du Parti socialiste redit avec force son opposition à la politique du gouvernement Villepin-Sarkozy en matière d'immigration.
Cette politique condamne à la clandestinité et à la misère nombre de personnes parce qu'elles ne sont ni régularisables ni expulsables comme le montre la situation actuelle des mauritaniens d'Orléans.
Il faut sortir ces personnes de cette impasse inhumaine et exiger un examen précis de leur situation personnelle.
Le Parti socialiste du Loiret, en lien, entre autres, avec l'Association de soutien aux déportés mauritaniens, se tient informé régulièrement de la situation.
Il renouvelle tout son soutien aux associations qui oeuvrent au quotidien pour l'accompagnement et l'aide aux migrants et aux réfugiés et qui font un travail remarquable."
A titre strictement personnel, j'ai indiqué au représentant de l'ASDM que je désapprouvais l'idée de l'occupation des locaux protestants, car d'une part cela gêne considérablement l'action de l'Entraide protestante qui aide les plus démunis, et que d'autre part, cela n'a manifestement d'aucun effet sur l'Etat et ses représentants. Je désapprouve l'idée mais je comprends que des personnes qui ne voient aucun avenir soient poussés à de tels actes.
Le représentant de l'ASDM m'a demandé quelle était la position du PS et de Ségolène Royal sur la régularisation des sans-papiers, je lui ai donc fait part de la position de Ségolène Royal :
" Il sera procédé à une régularisation sur la base de critères clairs, objectifs et justes :
- la durée de présence en France. Il n'est en effet pas acceptable que des personnes soient condamnées à la clandestinité perpétuelle sur notre territoire ;
- la scolarisation des enfants. Les milliers de parents dont les enfants sont scolarisés en France et qui ont cru à la parole de l?Etat devront pouvoir rester en France.
- la possession ou la promesse d'un contrat de travail. Il s'agit de lutter contre le travail au noir, mais aussi de faire une place à ceux qui participent à la richesse de l'économie française, en sécurisant la situation des salariés. Un pacte en ce sens sera passé avec les entreprises."
et aussi :
"Il n'est pas acceptable que des milliers de personnes soient condamnées a vivre dans la clandestinité perpétuelle. Le rétablissement de la règle des 10 ans comme critére de régularisation de plein droit répond a des principes humanistes et d'ordre public."
Depuis ce matin et leur expulsion par les forces de l'ordre, les réfugiés sont dans les locaux du parti communiste, et il semble qu'ils envisagent l'occupation d'un autre lieu de culte.
Voici pour terminer le communiqué que je viens de recevoir et qui est publié par l'Eglise Réformée de France d'Orléans :
"Le 23 mars à 12h00 Ce matin entre 6h et 7h la police a procédé à l’évacuation des occupants de nos locaux. Salle Soulas, plusieurs des mauritaniens qui étaient là les nuits précédentes étaient partis, mais d’autres étaient venus les remplacer, de sorte qu’ils étaient plus nombreux (une trentaine). Quatre personnes parmi les organisateurs du rassemblement organisé la veille dans nos locaux occupaient la salle du conseil. Personne n’avait pénétré dans le temple.
L’évacuation s’est faite dans la calme, et les militants de la ligue communiste révolutionnaire ont évacué avec leurs camionnettes les matelas, le matériel culinaire et les vivres stockés dans la cuisine. A 8h00, l’huissier de justice m’a rendu les clés de l’entrée coté St. Pierre Empont et de la rue Parise qu’il nous avait empruntées.
Nos locaux vont en conséquence reprendre leur activité normale, cultuelle, sociale, et culturelle : études bibliques, catéchèse, formations, aide matérielle, spirituelle et morale…Les permanences de l’Entraide Protestante et de la CIMADE sont à nouveau organisées.
Ce n’est pas sans émotion que l’on peut vivre de tels instants, prendre des décisions difficiles. Mais nous sommes convaincus que mieux valait que cesse rapidement cette occupation qui n’avait aucune chance de déboucher sur une issue favorable pour les personnes en difficulté concernées. D’une certaine façon, nos amis mauritaniens étaient instrumentés à des fins d’activisme politique de même nature que celle qu’opère l’autre extrême. A aucun moment, une démarche n’a été engagée auprès de la préfecture pour résoudre des cas individuels.
Dans quelques mois, nous organiserons dans ces mêmes locaux une exposition sur la Mauritanie, pour illustrer les caractéristiques de ce pays, les difficultés climatiques, le travail des hommes. Nous solliciterons les associations qui travaillent sur le terrain, sur place et ici : ONG, collectivités territoriales, organisations scientifiques. Avec la CIMADE, nous exposerons les questions des migrations, leur rôle dans l’économie locale, les difficultés que rencontrent les intéressés, là bas, ici, et sur leurs parcours.
Le 28 mars, Elena Lasida, de la commission Justice et Paix, clôturera notre cycle de conférence au temple sur le thème « Dialogues pour une terre habitable » par une conférence-débat intitulée : « Conditions sociales, humaines et économiques de la création de richesse ».
Malgré les difficultés et les provocations, l’Eglise Réformée d’Orléans poursuit sa mission d’annonce de l’évangile, son engagement social et son témoignage dans la cité.
Pour le conseil presbytéral de l’ERF Orléans Jacques Varet, Président"
Voila, vous avez tout ce que je sais sur cette situation. Vous pouvez continuer votre enquête personnelle par l'article du Monde et celui de Libération.
Mais j'aimerais vraiment connaitre vos positions aux uns et autres, devant la complexité d'une telle situation :
- quel doit être ou quel peut être le rôle des associations ?
- quel doit être ou quel peut être le rôle des partis politiques ?
photo : ERF Orléans