Le père de l’adolescent qui s’est suicidé dans sa cellule raconte.
De notre correspondant à Lyon OLIVIER BERTRAND
QUOTIDIEN : samedi 9 février 2008
On dirait une chambre d’enfant. Un lit bateau en bois, un poster de Charlot au mur, un singe en peluche près de l’oreiller. Julien avait 16 ans. Il s’est pendu samedi 2 février, dans sa cellule de l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu, près de Lyon (Libération de mardi). Il y était incarcéré depuis un mois et demi. Rachida Dati, en visite ce samedi dans cet EPM, a demandé une enquête administrative, pour comprendre les circonstances du drame. Le père de Julien aussi veut comprendre. Pourquoi son fils est mort dans cette prison, pourquoi il est resté incarcéré malgré plusieurs tentatives de suicide.
Julien, 16 ans depuis septembre, est né d’un père qui s’appelait Mohamed mais a changé pour Sébastien, et d’une mère fragile, partie lorsque l’enfant avait huit mois. Elle a voulu le revoir, lorsqu’il avait 9 ans, mais il a refusé, a sauté par la fenêtre le jour où elle est venue. Il vivait chez son père et sa belle-mère, avec ses quatre frères, dans une assez grande maison d’un lotissement de Montélimar. «Il ne parlait pas beaucoup, dit Sébastien, technicien en radio protection dans des centrales nucléaires. Il était moyen à l’école mais poli, respectueux. Il était gâté à la maison, il ne manquait de rien.» De rien sauf d’une mère.
Tentatives. Les actes de petite délinquance ont commencé voilà quatre ans, le père datant précisément la rupture. «En cinquième, raconte-t-il, il a fait une bêtise. Il a baissé son pantalon dans la cour. Le collège m’a prévenu.» Et le soir, Sébastien a frappé son fils. Celui-ci s’est plaint le lendemain à l’infirmerie du collège. «Une assistante sociale est venue à la maison, poursuit Sébastien. J’ai été convoqué par un juge pour enfants.» Une mesure d’éducation en milieu ouvert a été décidée et le père s’est senti destitué. «J’avais perdu toute crédibilité, dit-il. Je ne pouvais plus intervenir. Si je me fâchais, il me disait que je n’avais pas le droit.»
Le garçon entame un parcours de petit voyou. Vole un scooter un jour, casse une vitre le lendemain pour piquer un CD, dérobe du linge dans un jardin. Le juge l’envoie chez un psychiatre, mais Julien ne parle pas. «Plus personne n’avait de prise, dit le père. Il faisait n’importe quoi pour se faire remarquer. Je savais que c’était des appels au secours, mais comment l’aider ?»
Les convocations au commissariat se multiplient, sans conséquence, puis l’addition tombe, à l’automne 2007. Julien, qui vient d’avoir 16 ans, écope de deux mois de prison ferme, le 28 novembre. Un aménagement de peine est envisagé pour lui éviter l’incarcération. Mais le procureur en décide autrement. Après un incident dans le centre de placement immédiat où se trouve Julien, il l’envoie à l’EPM de Meyzieu. La loi Perben II de mars 2004 autorise le parquet à passer outre l’avis des juges et des éducateurs pour envoyer un mineur en détention, en cas «d’urgence motivée par un risque pour les personnes ou les biens». Me Alain Fort, l’avocat de la famille, dénonce «l’utilisation croissante de ce texte épouvantable pour contourner les aménagements de peine».
Julien se démet l’épaule au bout de quelques jours. En essayant de se pendre, expliquait lundi la direction interrégionale de l’administration pénitentiaire. L’administration centrale affirme à présent qu’il avait glissé. Elle indique en revanche qu’une tentative a bien eu lieu le 26 décembre. Le père est prévenu par les médecins. Il obtient un premier permis de visite le 5 janvier. «Julien ne supportait pas d’être là-bas», dit-il. Le garçon change quatre fois d’unité de vie. «Les personnels ont bataillé pour essayer de le sauver, affirme l’administration pénitentiaire. Il était dans la transgression absolue, dans la volonté suicidaire maximale.» Un EPM était-il l’endroit idéal pour un adolescent suicidaire ? Dès le 14 janvier, une place est réservée pour Julien dans un centre éducatif renforcé, en Haute-Loire. «Il m’en a parlé la dernière fois que je l’ai vu, le 16 janvier, raconte le père. C’était une question de jours, il avait hâte de partir. Pour la première fois, il m’a fait des excuses pour tout ce qui était arrivé. Je suis reparti soulagé.»
«Privé de parloir». Neuf jours plus tard, Julien est toujours à l’EPM. Il met le feu à ses vêtements et sa cellule prend feu. L’administration pénitentiaire envoie alors une lettre au père pour lui demander s’il a une assurance, et Julien passe devant un juge, qui prend un mandat de dépôt. Il ne peut plus quitter l’EMP. «Le vendredi qui a suivi, une éducatrice m’a téléphoné, raconte le père. Elle m’a expliqué que Julien était privé de parloir pour une semaine.» L’administration conteste ce point. Le lendemain à midi, un surveillant a découvert l’adolescent, un drap serré autour du cou. Le père a passé son dimanche auprès de lui. «Il semblait dormir, raconte-t-il. Son cœur battait encore, mais son cerveau était mort.» Il a prévenu la mère, qui a pu passer l’après-midi auprès de ce fils qu’elle n’avait jamais revu. Puis lundi, le père a demandé aux médecins de débrancher les appareils qui maintenaient leur fils en vie.